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La mémoire se réfère

au passé tout en s'adressant

au présent.

Elle est mouvante.

Le projet 

En 2014, la Fondation Connaissance et Liberté - FOKAL a voulu entamer un travail sur la photographie documentaire dans le cadre de ses actions de soutien au secteur de la photographie en Haïti. L’idée était d’explorer comment la photographie pouvait être un outil afin de questionner et solliciter les mémoires du pays, bien souvent enfouies, méconnues, invisibilisées. Le constat d’une méconnaissance de ce que fut la dictature des Duvalier au sein de la génération post-dictature, notamment lors du retour de Jean-Claude Duvalier au pays quelques années plus tôt, avait creusé le besoin de permettre à cette jeunesse d’explorer le passé de son pays. FOKAL a ainsi invité Nicola Lo Calzo, qui depuis plusieurs années déjà avait développé le travail CHAM sur la mémoire de l’esclavage, à animer un atelier autour des liens entre mémoire et photographie. Une douzaine de photographes avaient été retenus parmi les candidatures reçues. Nicola Lo Calzo, qui avait séjourné à Kazal pour les besoins de son travail sur la mémoire de l’esclavage en Haïti, avait été mis au courant du massacre de Kazal de 1969 et a ainsi proposé de travailler avec ces jeunes professionnels autour de la mémoire de cet évènement tragique, qui malheureusement s’est répété dans de nombreux endroits d’Haïti à l’époque. « Tous photojournalistes, c’était notre première rencontre avec la photographie documentaire. Nous avons commencé par rechercher des documents qui parlent de l’événement et/ou de la dictature. Nous nous sommes entretenus avec le directeur du Lycée d’alors monsieur Erick Eliazer avant de nous rendre dans la communauté, explique Edine Célestin. Lors de nos premières visites à Kazal, nous avons rencontré les gens, nous avons écouté leurs histoires et nous avons été étonnés de voir qu’un événement aussi lointain pouvait susciter tant d’émotions. » Un second atelier a eu lieu, et deux évènements de restitution des images réalisées se sont déroulés, l’un à FOKAL à Port-au-Prince à travers une petite exposition, l’autre à Kazal même à travers une projection des images réalisées pour les personnes photographiées, leurs familles et les habitants. L’idée était d’une part de montrer aux gens de Kazal le résultat des prises de vue et de prendre leur réaction afin de pouvoir éventuellement continuer à développer le projet, d’autres part de rendre visible cette démarche afin que la diaspora kazalaise, très présente aux Etats-Unis et aux Canada, puisse par la publicité être avisée de son existence et participer à la reconstitution de la mémoire de ces évènements qui ont changé le cours de leur vie.

Suite à ces différentes actions, 7 photographes toutes et tous membres du Kolektif 2 dimansyon ont saisi l’opportunité de continuer à développer ce travail photographique en relation avec la communauté de Kazal, « pour mieux comprendre cette partie de notre histoire qui nous était si peu familière, témoigne Edine Célestin. Nous avons choisi chacun une thématique de départ ; Les lieux de mémoire (Edine Célestin), La vie dans la communauté (Fabienne Douce), Les lieux de résistance (Mackenson St-Felix), La rivière et l’État (Georges Harry Rouzier), le rapport entre Kazal et Cabaret, anciennement Duvalierville (Moise Pierre), la question de couleur et l’évolution de la zone à travers les portraits de ses habitants (Réginald Louissaint Junior), les témoignages et bruits ambiants (Dumas Maçon). Nous avons essayé d’être présents dans presque tous les évènements importants dans la vie de la communauté (naissance, mariage, funérailles, commémoration, fête patronale etc.). Nous avons fait en sorte de rapporter des photos imprimées pour les distribuer à chaque fois, ce qui a renforcé la confiance. »

Les photographes ont également rencontré des personnes en dehors de la communauté Cazalaise, afin de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre sous la dictature des Duvalier en soi, mais aussi dans la région à l’époque, comme la sociologue et militante des droits humains Danièle Magloire, Frantz Voltaire du Cidhica, l’ancienne première dame Gery Benoit, l’écrivain Dany Laférrière, la directrice de Pyepoudre, comédienne et metteuse en scène Paula Clermont Péant, l’anthropologue Claudia Girola qui menait avec des étudiants de la FASCH des travaux similaires sur la mémoire de Kazal.

« Au fil de nos voyages, nous avons rencontré de nouvelles personnes qui ont partagé avec nous leur histoire, leur vécu, leur rapport au temps entre l’avant et l’après évènement, continue Edine Célestin. Chacun avait sa version de l’histoire en fonction de ses vécus, son origine ou qui lui avait raconté l’histoire. Au fur et à mesure que nous les côtoyons une relation de confiance s’est établi les langues se sont déliées. Nous avons pu écouter les victimes, les témoins, certains miliciens, des témoins directs mais aussi des gens à qui cette histoire avait été racontée. Même si les mémoires de l’évènement sont plurielles et diversifiées, des éléments communs et récurrents revenaient sans cesse dans le discours des témoins. Et à partir de ces éléments qui ont émergés, nous avons repensé le récit de notre travail final en cinq thématiques : Dlo (parce que l’eau a été l’élément déclencheur du massacre), Latè (pour parler des origines des membres de cette communauté), Leta (pour expliquer le rapport des gens avec l’Etat avant, pendant et après le massacre), Mistik (parce que le vodou a toujours marqué notre histoire de peuple et qu’il fut également présent dans les évènements de Kazal, notamment par l'évocation de certains pouvoirs surnaturels), Memwa (pour parler de cette mémoire, plurielle, fragmentée, douloureuse et enfouie). »

Avant l’impression du livre chez l’éditeur de photographie André Frère qui a d’emblée été séduit par le projet et la réalisation de l’exposition pour les 50 ans du massacre en 2019, une version sur feuilles volantes reliées sommairement a été réalisée et apportée aux personnes photographiées à Kazal, afin qu’elles puissent donner leur accord sur la publication de leur image et de leur témoignage, en ayant une conscience plus précise de l’objet livre lui-même.  Suite à l’édition du livre et son arrivée en Haïti, les gens de Kazal présents dans le livre ainsi que ceux qui ont collaboré au projet ont été les premiers à le recevoir.

Le travail s’est construit au fil de quatre années faite d’ateliers et de rencontres collectives,  mais aussi d’aller-retours vers la communauté de Kazal en solitaire ou en binôme, et de pauses qui furent propices à la co-construction de cette histoire, qui au final est le reflet de ce que les photographes auront construits avec les survivants du massacre de Kazal et leur communauté. Le temps long est aussi une façon de laisser plus de place à chacun de dire ou de faire sienne cette histoire. C’est ainsi que le travail continue, à travers la création d’un espace mémoriel au Lycée Jérémie Eliazaire de Kazal inauguré en 2021, qui sera un espace vivant alimenté par des images que des jeunes de la zone vont réaliser lors d’ateliers réalisés par l’équipe de K2D avec le soutien de FOKAL. 

 

Hommage

Nous tenons ici à rendre hommage aux personnes décédées depuis que nous avons entamé ce projet. Sans elles, rien de ceci n'aurait eu lieu.

Lauria André,

Orelus Onoré,

Morivia Joseph,

Arnold Belfort,

Delice Delouis,

Théophile Benoit,

Anselme Benoit,

Phyllantus Benoit.

Que leurs âmes reposent en paix.

Bibliographie

* Elizabeth Abbott, Haiti: The Duvaliers and their Legacy, Robert Hale, London, 1988.

 

* Gérard Barthélemy, Le Pays en dehors : essai sur l’univers rural haïtien, H. Deschamps, Haïti, 1989.

 

* Géri Benoît, Harnessing History to Development: the Story of Cazale, Trinity College, Washington, 2003.

 

* Al Burt Al et Bernard Diederich, Papa Doc: Haiti and its Dictator, Maplewood, New Jersey, 1991.

 

* J. Calixte, Chery, R., Louis, K., Vladimir, Lovinski V., sous la direction de Claudia Girola et Numa Murard, « Enquête sur la mémoire du massacre de 1969 à Cazal », 2016, recherche réalisée avec le soutien de la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL), de l’ENS, de l’Université d’État d’Haïti, du Laboratoire de Changement social et politique (LCSP), Université Paris-Diderot, du programme IDEFI-CréaTIC de l’Univ. Paris 8.

 

* Georges Didi-Huberman et Niki Giannari, Passer, quoi qu’il en coûte, Les Éditions de minuit, 2017.

 

* Bernard Diederich, Papa Doc et les tontons macoutes, Broché, 1970.

 

* Bernard Diederich, Le Prix du sang, Éditions Antillia Centre oecuménique des Droits humains, Port-au-Prince, Haïti, 2016

 

* Jean Florival, Duvalier, la face cachée de Papa Doc, Éditions Mémoire d’Encrier, collection Chronique, Québec, 2007

 

* Graham Green, Les Comédiens, Éditions The Bodley Head, 1967

 

* Jacceus Joseph, Le Procès d’Haïti pour crimes contre l’humanité, Montréal, CIDHICA, 2013.

 

* Patrick Lemoine, Fort-Dimanche, Fort-la-Mort, Trafford Publishing, Indiana, 2011.

 

* Gérard Pierre-Charles, Radiographie d’une dictature : Haïti et Duvalier, Éditions Nouvelle Optique, 1973.

 

* Alessandro Portelli, L’Ordine è già stato eseguito, Donzelli editore, Roma, 1999, 2001.

 

* P.U.CH., Haïti sous Duvalier : terrorisme d’État et visages de la résistance nationale. Beatriz Sarlo, Tiempo pasado, cultura de la memoria y giro subjetivo, una discusion, Siglo veintinuno editores, Buenos Aires, 2005, 2012.

 

* Michel-Rolph Trouillot, Culture, Color, and Politics in Haiti, Rutgers University Press, New Brunswick, 1994.

 

* Jacques Roumain, Gouverneurs de la Rosée, Port-au-Prince, Haïti, Imprimerie de l’État, 1944.

Remerciements

Nous sommes redevable envers tous ceux qui apparaissent dans ce livre ainsi que ceux que nous avons pu photographier mais qui n’y apparaissent pas. Notre plus sincère gratitude va à toutes les personnes, les chercheurs, les artistes, les associations, les institutions qui nous ont soutenu dans cette démarche et sans lesquels ce livre n’aurait pu voir le jour. Merci à toute la communauté de Kazal et particulièrement aux gens qui ont partagé leur histoire avec nous.

    À Philantus Benoît,

    À Elicia Eliazaire,

    À Eric Eliazaire,

    À la famille d’Anselme Benoit,

    À Gery Benoît,

    À Anoual Frederic,

    À Théophile Benoit,

    Au Père Renoncourt de la paroisse Saint-Michel de Kazal,

    À Cosmos Hotel,

    À Fokal,

    À notre éditeur Andrè Frére,

    À Edwidge Danticat,

    À Claudia Girola,

    À Nicola Lo Calzo,

    À Maude Malengrez,

    À Danièle Magloire,

    À Estaïlove St-Val,

    À Paula Clermont Péan,

    À Jeanty Junior Augustin,

    À Pierre Michel Jean,

    À Dany Lafferière,

    À Nathalie Lamaute Brisson,

    À Le Nouvelliste,

    Aux Archives Nationales,

    À Haïti Tour,

    À nos familles.

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