MISTIK
La vie, c’est la vie : tu as beau prendre des chemins de traverse, faire un long détour, la vie c’est un retour continuel. Les morts, dit-on, s’en reviennent en Guinée et même la mort n’est qu’un autre nom pour la vie. Le fruit pourrit dans la terre et nourrit l’espoir de l’arbre nouveau. Quand, sous le matraquage des Gardes ruraux il sentait ses os craquer, une voix inflexible lui soufflait : tu es vivant, tu es vivant, mords ta langue et tes cris car tu es un homme pour de vrai, avec ce qu’il faut là où il en faut. Si tu tombes, tu seras semé pour une récolte invincible.
Gouverneurs de la Rosée, Jacques Roumain
Mur d’une maisonnette de fortune appartenant à Irma Boncoeur, Kazal.
Prière appartenant à la famille Benoit.
Terrain pour la production de charbon de bois.
Entretien avec Mécène Joseph
Habitant de Kazal et témoin direct du massacre du 29 mars 1969.
Lycée Jeremie Eliazer, baptisé ainsi en mémoire du chef de file du soulèvement.
J’avais 25 ans, je n’avais pas d’enfant. À l’époque, il fallait être milicien pour se faire respecter. J’ai accompagné les militaires et j’ai participé à la chasse à l’homme.
On traquait les deux ou trois rebelles qui s’étaient révoltés. Je n’avais pas le choix : quand le commandant te passait un ordre, il fallait l’exécuter, sinon tu risquais la mort. Si les militaires salissaient leurs bottes, au lieu de les nettoyer, ils forçaient les gens de Kazal à les laver. Pour traverser la rivière, peu importait ta force physique, tu devais les porter vers l’autre rive. Si tu tombais sous leur poids, tu risquais la mort. Ils ravissaient tout de la population : poules, chèvres, etc. C’étaient des voleurs.
Ils sortaient de partout dans les mornes. Ils venaient de Cabaret, de l’Arcahaie, de Pétion-Ville, mais la plupart venaient de Port-au-Prince : des soldats, des gendarmes, des lieutenants, des capitaines. Ils ont débarqué comme des barbares. Ce fut une tragédie : beaucoup d’innocents ont été tués inutilement, des familles entières ont été enterrées vivantes.
Je me souviens en particulier de la mort d’Antioche Benoit. Nous étions ensemble et il m’avait demandé un peu d’argent pour acheter des œufs. Je lui ai donné cinq gourdes. En sortant de la boutique, ils l’ont attrapé et exécuté. Ils étaient détraqués, ces militaires, même des chiens ont été abattus car il avait été rapporté au commandant que les rebelles se transformaient en chien, en cheval, en âne. Jérémie était le plus recherché de tous. La nuit, il se transformait en cheval. Il a pu passer près de la patrouille sans se faire reconnaître.
Mais cette magie n’existe plus à Kazal. Il n’y a plus de croix devant les maisons, plus de Péristyle, plus de Hougan.
Arnold Belfort, officier d’État civil de Kazal,
ancien milicien.